On y était : conférence "Les Français et le travail : le divorce ?" par la chaire TDTE

En veille permanente, une partie de nos équipes et de celles du Club Landoy ont assisté à la conférence "Les Français et le travail : le divorce ?" organisée par la chaire Transitions Démographiques Transitions Economiques, le 9 mars 2023 à l'Hôtel de l'Industrie.
On y était : conférence "Les Français et le travail : le divorce ?" par la chaire TDTE

Les taux d’emploi des jeunes et des seniors en France comptent parmi les plus faibles des pays développés, un pays où le taux de chômage est aussi structurellement élevé. Ces taux reflètent le manque d’intégration dans la société de nombreux actifs et citoyens de ces tranches d’âge.

Est-ce là le signe d’un divorce entre les Français et le travail, accentué par les dernières crises ? S’agit-il d’une « épidémie de flemme » comme le diagnostique l’IFOP, d’un équivalent de « The Great Resignation » provenant des Etats-Unis, ou encore d’un rapport au travail bouleversé par la crise du COVID ? Si les perspectives sont préoccupantes, il n’y a aucune fatalité comme l’ont montré les réussites des politiques de soutien à l’apprentissage.

La Chaire “Transitions Démographiques, Transitions Économiques” relance ce qui est certainement le débat le plus important pour le devenir de la société française alors que la transition démographique s’accélère. Les différents éclairages des personnalités présentes, permettront de poser un diagnostic précis et de nourrir les échanges sur les leviers d’action capables de réconcilier seniors et jeunes, employeurs et futurs employés, autour d’un pacte du travail renouvelé.


Voici quelques extraits rapportés par nos équipes de ces échanges.

Ouverture des débats :

- Jean-Hervé Lorenzi, Titulaire de la Chaire TDTE

La France a connu durant une trentaine d’années l’idée de la fatalité du chômage.

En 1994, la Fondation Saint Simon (qui n’existe plus) évoquait même « la préférence française pour le chômage ».
L’objectif plein emploi fait qu’aujourd’hui, la demande des entreprises est supérieure à l’offre de travail des salariés en France.

Après avoir rappelé l'existence des préretraites à 50 ans (1975-1976 – 1 million de préretraites) sous Raymond Barre, Jean-Hervé Lorenzi souligne la conviction de la Chaire TDTE à la lumière de la conjoncture socio-économique actuelle, à savoir le plein-emploi : un changement de compréhension du cadre économique français est nécessaire.


Table ronde 1 : Y a-t-il une épidémie de flemme ?

Animation par Jean-Hervé Lorenzi, Titulaire, Chaire TDTE

- Jérémie Peltier, DG Fondation Jean Jaurès et co-auteur de l’étude « Grosse fatigue et épidémie de flemme »

- Martin Richer, Responsable du pôle entreprises, Terra Nova et directeur du Master « Trajectoires dirigeants », Sciences Po Paris

La fatigue est l’état d’esprit des Français à la sortie de la crise sanitaire, souligne Jérémie Peltier.

Il note qu'avant la crise, les Français éprouvaient plutôt des émotions comme la colère, et que l'on perçoit désormais une baisse de motivation à faire du sport, sortir…
dans la vie en général.

On observe une relativisation du travail dans la vie : celui-ci devient mois identitaire / statutaire : 20% des actifs français considèrent le travail tel qu’il est comme très important dans leur vie contre 70% dans les années 1980…   Dans les faits, la majorité pense « 64 ans pourquoi pas, mais pas comme ça ».

On peut y voir plusieurs facteurs :

- Un déséquilibre investissement / gain

- Une démarche de rééquilibrage ET de reconnaissance nécessaires

- Le sentiment d’un investissement conséquent pour peu de reconnaissance

Enfin, il est intéressant de noter que la carrière ne passe plus par la souffrance ; on voit s’établir un nouveau rapport de force. Faut-il souffrir / se sacrifier pour réussir ? Plus forcément. En effet, depuis la crise sanitaire, les jeunes entre 25 et 30 ans n’associent plus la réussite professionnelle à la cette dernière.  

Martin Richer rappelle qu'en tous temps, les jeunes générations ont été critiquées :

- Socrate : « Nos jeunes aiment le luxe, ont de mauvaises manières, se moquent de l’autorité et n’ont plus aucun respect pour l’âge. A notre époque, les enfants sont des tyrans. »

- Hésiode (720 av J.C.) : « Je n’ai plus aucun espoir pour l’avenir de notre pays si la jeunesse d’aujourd’hui prend le commandement demain, parce que cette jeunesse est insupportable, sans retenue, simplement terrible. »

Ces citations montrent que la thématique du rapport au travail de la jeunesse et les stéréotypes l’entourant ne datent pas d’hier…

Il existe un effet d’époque dû aux événements ayant marqué des générations – le contexte socialo-historico-économique, et l'effet de génération est différent de l’effet d’âge, lui même différent de l’effet d’époque :  il faut s’intéresser au temps long, qui montre que le rapport des français au travail n’est pas abîmé.

Triangle du travail :  

Aujourd’hui en France, on semble se rapprocher de plus en plus de la conception anglo-saxonne du travail, à savoir un rapport pragmatique et instrumentaliste du travail.

Étude Harris Interactive “Le cœur des Français” :  

  • + de priorité au travail chez les jeunes que chez leurs détracteurs ;
  • 72 % des jeunes continueraient à travailler même s’ils n’en avaient  
    plus besoin financièrement ;
  • Pas d’atteinte à la valeur travail ;
  • Pas d’« épidémie de flemme » chez les jeunes.

Enquête ADP “Workforce view sur 32 000 salariés en tout :

  • Les salariés jeunes sont ceux faisant le plus d’heures de travail ;
  • Mais aussi le plus d’heures supplémentaires non-rémunérées.

Il s'agirait donc plutôt d'une situation où l'on observe l'inverse de la déperdition de la valeur travail.

Table ronde 2 : Le travail, une valeur en perdition ?

Animation par Isabelle Albaret, Chargée de recherche associée à la chaire TDTE

- Jean-Olivier Hairault, Directeur, Paris School of Economics

- Cécile Jolly, Économiste à France Stratégie, pilote de la prospective “Métiers 2030”

- Robert Zarader, Économiste et Conseiller en communication

Il y a de véritables difficultés de recrutement dans tous les secteurs (tout le monde embauche les mêmes profils).
Les près de 7% de chômage d’aujourd’hui sont très différents des 10% de chômage des années 1980.

Cécile Jolly précise que les besoins de recrutement sont considérables du fait du départ à la retraite des Baby-Boomers.
S’il y a une crise, elle se trouve, selon elle, dans la difficulté de recrutement (tous secteurs confondus).  

On observe une baisse dans l’industrie (sachant que le secteur industriel contribue grandement à la productivité) + une hausse de l’apprentissage (sachant que les apprentis ne sont pas chaque jour au travail). Cela induit une baisse de la productivité.

Jean-Olivier Hairault aborde le terme de “Grande démission” (à l’origine, un mouvement aux Etats-Unis. A-t-elle eu lieu après la pandémie / après la crise sanitaire ? On observe plutôt une forme de transition « job to job » : 8 démissions sur 10 ont trouvé un emploi du même type / dans le même secteur – mais mieux payé - dans les 8 mois, montrant l’aspect fictif de cette Grande démission contemporaine – qui fait partie d’un phénomène conjoncturel fort. Pour lutter contre le chômage il faut « partager le travail ».

Robert Zarader mentionne une apparition d'Olivier Dussopt dans La Croix (« Travailler plus, c’est travailler plus nombreux et plus longtemps ») avant de dire qu'il
estime que l'on raisonne toutes choses égales par ailleurs, ce qui est biaisé. Les noms des ministres ne sont pas autoréalisateurs et il faut réformer le travail avant de réformer la retraite. Il remarque que les Raisons d’Être des entreprises n’incluent pas la notion de travail.


Table ronde 3 : Le désamour de la jeunesse pour le travail ?

Animation par Kévin Genna, Responsable de la modélisation, Chaire TDTE

- Richard Ginioux, DG Ferrandi

- Théo Scubla, CEO & co-fondateur, Each One

- Marie Trüb, Vice-Présidente, Confédération Nationale des Junior-Entreprises

- Helen Verryser, Directrice Partenariats & Développement, Cercle des économistes


Helen Verryser ouvre le débat avec une étude menée sur 25 000 jeunes entre 18 et 30 ans :  

  • 49 % des jeunes estime que l’engagement de l’entreprise est un critère essentiel.  
  • 85 % des jeunes interrogés privilégient le sens / la valeur au travail.
  • Diplôme pas le plus important.
  • 40 % des jeunes valorisent la formation / la réorientation.
  • Le télétravail n’est pas significatif mais constitue un petit plus.
  • 80% trouvent qu’ils ne sont pas assez accompagnés ou conseillés.

Une étude de 2017 montre que les jeunes ne sont pas formés aux métiers qu’il y aura en 2035-2040. A cela s'ajoutent la précarité en hausse, la santé mentale en baisse, les mutations des formes de travail qui font que les jeunes sont et seront confrontés à des problématiques de changements liés au travail.

Richard Ginioux insiste : "Il n’y a pas de désamour des jeunes pour le travail". Il faut que l'existence se réalise sur les plans professionnels et personnels. Le sens est trop limité au management. Il faut un alignement des deux (en prenant en compte les tendances générationnelles) : par exemple un alignement sur le respect des ressources.

La contribution perso est primordiale : “voir le bout”, la place de sa contribution et cette dernière est essentiel. Il ne s’agit pas d’un constat générationnel mais structurel. Il ajoute aussi : "les jeunes sont contre l’exclusion, les violences et les discriminations", avant de conclure que désormais, ce sont les entreprises qui doivent s’adapter aux engagements des jeunes.

Théo Scubla : On note un "sur-engagement" plutôt qu’un manque d’engagement...
Il y a une montée des soft skills, et un grand besoin de reconnaissance et de fierté.  
Il évoque son nouveau livre, “Le Grand Rapprochement”, allant dans ce sens. 

Marie Trub rappelle que le mouvement des Juniors Entreprises est à l’origine français. Leur succès montre que les jeunes veulent découvrir le monde du travail et de l’entreprise même durant leurs études / bien avant d’être diplômés. Plus de 3600 entreprises font appel aux Juniors Entreprises : il y a un véritable marché.

Les entreprises reconnaissent que les jeunes ont de plus en plus de compétences – et les jeunes entrepreneurs gagnent également en compétences.


Table ronde 4 : L’éjection des seniors du marché du travail ?

Animation par Alain Villemeur, Directeur Scientifique, Chaire TDTE

- Laurence Breton Kueny, Vice-Présidente, ANDRH

- Hippolyte D’Albis, Professeur d’économie, Paris School of Economics

- Hervé Le Bras, Directeur d’études, EHESS

- Alain Roumilhac, Président, ManpowerGroup France

Avant de commencer, Alain Roumilhac appelle à prendre en compte ce qui va bien aussi : un meilleur taux d’employabilité senior.

Mais à part cela, quelle est la faute des entreprises dans la question de l'éjection des seniors ? Il soutient que lorsqu’il y a un plan de départ, il y a systématiquement une forme d’âge prise en compte.

Que veulent les seniors dans leur travail ? On parle souvent des jeunes mais les anciens aussi ont besoin de sens ! Les seniors ont besoin de se sentir motivés et passionnés par ce qu’ils font dans leur travail, de sentir que ce dernier est important pour l’entreprise (ne pas être mis au placard), d’être reconnus par le management pour leur contribution à l’entreprise... Il faut donc se projeter collectivement sur les 2nde parties de carrières. Les entreprises doivent aider leurs salariés à se projeter dans leur seconde partie de carrière, leur montrer de la reconnaissance, les accompagner, mettre l’accent sur leur formation… Il est nécessaire que les entreprises ne tombent pas dans l’écueil de priver les salariés les plus âgés de formation, sous prétexte qu’ils partiront bientôt à la retraite car il est loin de s'agir d'un investissement vain. Avant de laisser partir les seniors, il est plus judicieux d’organiser des viviers de connaissance et d’échange entre jeunes et seniors.  

Pour augmenter le taux d’emploi des seniors, il faut :

  • Augmenter l’embauche des + de 55 ans ;
  • Augmenter le taux d’emploi des femmes en activité ;
  • Sentir que la réforme est juste ;  
  • Changer de culture, changer de perception : ne pas considérer le travail comme quelque chose de gênant ou négatif ;
  • Continuer de faire des cotisations à temps plein ;
  • Mettre en place des politiques de santé et de qualité de vie au travail
    (prévenir / éviter les TMS) ;
  • Se pencher sur la question de faisabilité.  


Hippolyte d’Albi dénonce que l’emploi des femmes est trop faible malgré une grande réserve de travail.

L’accompagnement global des seniors est essentiel : pour ceux en poste, comme pour ceux en recherche d’emploi. Une grande partie de la population des seniors a besoin d’un accompagnement pour retrouver du travail. Aujourd’hui, malgré un taux d’emploi des 55-64 ans en hausse, près de 650 000 seniors demeurent au chômage et l’emploi des femmes reste trop faible.

« Pour faire un vieux, il faut toute une vie » selon Hervé Le Bras. Selon lui, la difficulté consiste à lier l’état de santé du senior en fonction de la vie en activité. 
Il est primordial de prêter attention à l’espérance de vie en bonne santé lorsqu’on est en activité.

Laurence Breton Kueny : « On ne meurt pas du travail, mais on meurt au travail ».  On compte 1,7 actif pour 1 inactif et aujourd’hui, l’espérance de vie en bonne santé est de 65,7 ans. Il faut que les métiers soient soutenables. Pour cela, il est nécessaire qu’il existe un accompagnement, surtout quand les métiers sont pénibles.


Résultats de la modélisation choc démographique et croissance

- Kévin Genna, Responsable de la modélisation, Chaire TDTE

- Alain Villemeur, Directeur Scientifique, Chaire TDTE

Une question de départ : Quelle est la quantité de travail supplémentaire nécessaire pour réduire le déficit public ?

Un constat : si on augmente de 8 % le travail, cela générera une augmentation de la productivité de 0,8 % et donc provoquera une croissance du PIB de 6 % en 2032.



Table ronde 5 : Les Français et le travail : de l’échec au rebond.

Animation par Jean-Hervé Lorenzi, Titulaire, Chaire TDTE

- Dominique Carlac’h, Vice-Présidente, MEDEF

- Pascal Ruffenach, PDG Bayard

- Benoît Serre, Vice-Président, ANDRH et DRH, L’Oréal

Selon Dominique Carlac'h, il n’a jamais été aussi facile de trouver un travail qu'aujourd'hui. Néanmoins, il semble très compliqué de se sentir bien au travail.  

La notion de satisfaction au travail s’entrechoque avec la place que prend le travail au sein de notre vie.

En 1990, 60% des français accordaient une place importante au travail dans leur vie, contre 20% en 2022... car :  

  • Il y a un renversement d’aspiration : le temps libre prend, notamment, plus d’importance.
  • On note aussi une baisse de motivation liée à l’encadrement au travail.

Comment expliquer ces deux phénomènes ? On peut les relier à des changements comme le télétravail, et la distanciation au travail qui s’est mise en place à sa suite. Par conséquent, l’implication au sein d’un collectif de travail diminue fortement. Les Français éprouvent donc moins d’intérêt pour leur travail.  

En réalité, le fait de travailler n’est pas remis en cause mais la finalité du travail (être plus autonome, les contrats professionnels, l’entreprenariat…) gagne en exigence.

Il y a donc un sentiment d’être perdant par rapport aux aspirations personnelles au travail qui augmentent.

Benoît Serre affirme que sur le plan individuel au travail il faut savoir déterminer comment on veut travailler et quand.

Aujourd’hui, il existe une réelle exigence d’une reconnaissance individuelle juste et pertinente venant de l’employeur.

Des phénomènes français selon lui alourdissent le rapport au travail : la dualité cadre et non-cadre, le CDI indispensable pour la plupart des démarches, ou encore l’obsession du présentéisme. Sur ce dernier point, il estime que l'on a tendance à associer présence et travail, bien que les deux n'aillent pas nécessairement de paire. Si quelqu’un travaille en présentiel, elle travaillera aussi en distanciel.

Pascal Ruffenach souligne que le rapport au temps change car l’espérance de vie augmente.

Il ajoute que lorsqu’on évoque l’engagement des jeunes, c’est notamment car ils éprouvent des difficultés à projeter sur le long terme (cause environnementale : rapport du GIEC des dernières années…).  

Il est important de donner du sens aux choses, mais aussi de reconnaître que certaines sont intolérables (discriminations, sexisme...). Il faut supprimer les distances existantes en aspirations personnelles profondes et l’entreprise. Cela passe par la question de l’éducation et notre rapport à l’échec dès le plus jeune âge ; par exemple, on peut avoir de mauvaises notes dès la maternelle, ce qui nous met déjà à l’écart. On peut retrouver ce même rapport à l’échec dans le monde entrepreneurial. D’où l’importance de conservation et de préservation des liens sociaux.  Il faut encourager le partage entre seniors et jeunes.

Pour l’ensemble des générations, le lien social est essentiel. C’est l’engagement du Club Landoy. Comme une notion de 2nde chance.

L’entreprise est la solution dès lors qu’elle est un lieu de reconnaissance, d’apprentissage et d’engagement. L’entreprise a donc l’opportunité d’accompagner les transitions sociales et économiques.


PROPOS CONCLUSIFS

- Jean-Hervé Lorenzi, Titulaire de la Chaire TDTE

- Michel Yahiel, Directeur des Politiques Sociales, Caisse des Dépôts